jeudi 15 mai 2014

"Il les fait lui-même, maintenant?! Il est foutu!"

Or donc! Le temps passe sacrément vite lorsque l'on ne s'ennuie pas...

J'avais mentionné il y a déjà plus de deux mois qu'un stage de fabrication de low whistle allait se tenir au Mans. Tu te souviens? Alors je m'y suis inscrit, bien sûr, et puis j'y suis allé. Veni, vidi, tout le toutim, j'en suis revenu enchanté!

Mais avant de te parler du stage en lui-même et de te montrer ce qu'on y a fait, je tiens à faire cette petite parenthèse :

Quelle ne fut pas ma surprise, en arrivant sur le grand quai de la gare Montparnasse, à Paris, de découvrir là un piano! Un piano à la disposition de qui veut jouer pour qui veut entendre! Un écriteau indiquant "A vous de jouer!". Je n'en revenais pas : voilà bien une profession de foi en l'Humanité, nom d'un chien! Car il s'agit bien de foi : foi dans le fait qu'on respectera ce piano, qu'il ne sera ni dégradé ni vandalisé, et foi enfin dans le fait que quiconque - moi, par exemple - pourrait s'y asseoir et jouer sans se faire lapider - et d'un coup me vient l'idée que je ne suis peut-être pas le meilleur exemple...
Donc ce fût une belle surprise qui ne pouvait qu'être de bon augure pour ce weekend prolongé.

Et de fait! L'équipe du Centre du Patrimoine de la Facture Instrumentale du Mans est on ne peut plus sympathique et accueillante, et le groupe de stagiaires de même - nous étions cinq stagiaires.

Mais entrons dans le vif du sujet!

Le low whistle est une flûte à bec irlandaise à 6 trous, la version ténor de la tin whistle utilisée depuis les années '60 dans les répertoires 'celtiques'. Il est traditionnellement en métal, mais il en existe en plastique et quelques fois en bois.

Donc, de quoi faut-il disposer pour fabriquer un low whistle?

OUTILS - MATÉRIEL :
- Étau
- Foreuse sur pied
- Ponceuse à bande
- Polisseuse/lustreuse
- Scie à métaux et lames
- Un couteau bien affûté
- Jeu de limes à métaux : plate, demi-ronde, "queue de rat"
- Papier de verre
- Latte millimétrée
- Pied à coulisse
- Ruban adhésif
- Crayon
- Une pièce de cuir ou de caoutchouc souple
- Chiffon
- Accordeur électronique

MATÉRIAUX :
- Tuyau en aluminium (dimensions : cfr schéma)
- Tuyau en cuivre (idem)
- Cylindre acétal Delrin (itou)

NOTIONS :
Comme tu le découvriras (ou comme tu le sais déjà, peut-être), c'est la longueur du tuyau qui déterminera la tessiture de l'instrument à vent, et pas tant le diamètre : plus le tuyau est long, plus le son qu'il produit est grave. Le diamètre, lui, influencera la modularité de l'instrument : plus le diamètre du tuyau est large, plus facile sera l'obtention de notes graves et rondes; plus ce diamètre est réduit, plus aisés seront les aigus. Il faut donc trouver le juste compromis. Le tableau ci dessous t'indique les diamètres des tuyaux que tu choisiras en fonction de la tonalité de l'instrument que tu fabriqueras.


MODE OPÉRATOIRE : Toutes cotes et mesures précisées dans les tableaux et les schémas.
Attention ! Une règle qui reviendra comme un leitmotiv : "That must be very clean!" (avec un vague accent d'Europe de l'est, private joke et running gag tout au long du stage) Il est impératif de couper droit, puis de poncer les traits de coupe afin que les bords soient absolument propres! Tu devras apporter le même soin pour chaque perce.

La première opération consiste à couper une longueur de tuyau en aluminium. Quelque soit la tonalité de la flûte, tu veilleras à obtenir une plus grande longueur que nécessaire : il te faudra ajuster celle-ci au moment de l'accordage de la flûte.
La deuxième étape consiste à préparer le morceau de tuyau de cuivre qui permettra de former le sifflet de la flûte. Comme le tuyau de cuivre présente un diamètre extérieur supérieur au diamètre intérieur du tuyau en alu, tu dois réduire ce diamètre. Tu scies donc une bande longitudinale de la largeur nécessaire (voire schéma pour les cotes).

     

Vient maintenant le moment de faire une découpe rectangulaire dans ce tube en cuivre :
- Perce un trou au diamètre et à la distance de l'extrémité du tuyau correspondants (cfr schéma)
- De ce trou, scie soigneusement le tuyau de façon à prolonger l'arrondi vers l'extrémité du tuyau.
- Il te reste alors à façonner les deux angles droits formant la découpe rectangulaire
- Et poncer car... "That must be very clean"


L'étape suivante verra se terminer le façonnage du sifflet, en préparant cette fois le tuyau d'aluminium :
- Perce deux trous au diamètre et aux distances de l'extrémité du tuyau précisés sur le schéma
- A la petite scie, relie les bords de ses deux trous entre eux
- Façonne les angles droits, et ponce soigneusement le biseau
- Et souviens-toi : "That must be very clean"

              


Il te reste maintenant à enfoncer la pièce en cuivre dans le tuyau en aluminium. Pousse-le en force, mais assure-toi que la pièce reste bien dans l'axe de l'ouverture du tuyau en alu. C'est une opération délicate qui déterminera le son de ta flûte : tu dois laisser le juste espace ouvert entre le bord de la lumière et le biseau. Quelques essais te seront nécessaire, ne te décourage pas.
Ensuite, tu enfonces doucement un morceau de cylindre Delrin jusqu'à l'aplomb de la lumière du sifflet.

 
        





Il te reste à araser la pièce de cuivre et le tube de plastique au niveau de l'embouchure.

L'étape finale du façonnage de cette embouchure consiste à couper le bec.

Entamée grossièrement dans un premier temps, à la scie à métaux, tu finiras cette découpe en passant le dessous du bec sur l'arrondi de la ponceuse à bande. A toi de définir ton arrondi en fonction du confort que tu y trouveras : cela n'influencera pas le son de la flûte.






Schéma et cotes pour ces opérations :



Cher lecteur, c'est ici que ça se corse (comme disait Napoléon).

Car maintenant que nous avons un sifflet, il va falloir percer les trous de jeu! Mais avant de s'en préoccuper, il s'agit d'obtenir le diapason de la flûte et ce n'est déjà pas une mince affaire!

Pour se faire, tu utiliseras un accordeur électronique (on en trouve de tous modèles dans une large gamme de prix). Tu raccourciras progressivement ton tuyau jusqu'à obtenir le diapason, c'est à dire la note "tous trous bouchés", dans le cas de ma flûte, un Ré (D), en vérifiant le plus régulièrement possible sur l'accordeur. Tu scieras l'extrémité au début, mais gare à ne pas trop scier! Dès que tu t'approches du diapason, utilise plutôt la ponceuse à bande, en tenant fermement la flûte verticalement, bien droite, et fait de nombreux essais.
Attention cependant à ceci : Le tuyau chauffe lors du sciage et du ponçage et la note ne sera pas identique selon la température de la flûte! Avant de vérifier la justesse du diapason et, le cas échéant, de rectifier la longueur du tuyau, il te faudra attendre qu'il refroidisse...

Une fois le diapason obtenu, c'est à dire la distance entre le biseau du sifflet et l'extrémité de la flûte, tu disposeras d'une flûte qui aura sa longueur propre, plus que probablement différente de sa voisine de même tonalité. Il faudra donc utiliser une simple formule introduite dans un classeur excel pour obtenir les cotes des trous de jeu numérotés de 1 à 6, le n° 6 étant le plus éloigné du sifflet.
Formule :
X = Longueur du diapason de ta flûte
Diapason = Longueur du diapason de référence                N calculé =  (X x N réf) 
N réf = n° du trou de référence                                                            diapason
N calculé = n° du trou de ta flûte

Pour ma flûte, ça donnait ceci sur le tableur :



ATTENTION : Il s'agit de prendre soin à la rectitude des trous, qu'ils soient bien dans l'axe de la flûte."That must be very clean" (bien rouler le "R")
Pour cela, utilise le ruban adhésif qui te permettra de marquer droit (cfr photo). Attention aussi de veiller à la profondeur de la perce : ne va pas mordre dans le côté opposé du corps de la flûte car la moindre irrégularité de la parois intérieure du tuyau entraînera une turbulence qui altérera la qualité du son! Il en va de même des bords des trous et du sifflet.


Et maintenant, la perce! Il va falloir procéder progressivement, en commençant par le trou le plus éloigné du sifflet, avec au départ un foret de faible diamètre (diam. 6mm). Utilise ensuite des forets de plus en plus gros, en vérifiant systématiquement la hauteur de la note sur l'accordeur, le plus régulièrement possible, à froid. Une fois que ce premier trou est fait, accordé, tu peux percer les deux suivants au faible diamètre, puis procéder de la même façon pour les trous suivants, en commençant systématiquement par le trou le plus éloigné et en ne passant au trou suivant qu'une fois chaque trou accordé. Tu peux enfin attaquer la finition des trous en ponçant légèrement les bords histoire d'apporter un confort de jeu.

Et ENFIN! La partie finition. Tu vas pouvoir passer un peu de temps pour polir et lustrer soigneusement la flûte. Il te restera ensuite à la faire chanter!

De gauche à droite:
Ton serviteur - Jan d'Allemagne - Gautier de Belgique - Franck de Paris - 
Sylvestre, directeur/animateur/formateur du CPFI - Yvon d'Angers

Un grand merci aux organisateurs de ce stage, Susann et Sylvestre, pour la qualité de ce projet et leur amitié, ainsi qu'à mes quatre camarades pour l'ambiance et les mousses en terrasse!