mercredi 4 mars 2009

La vie rêvée des anches

L'histoire du roseau et de la musique date de plus de mille ans avant J.-C, quand l'homme a fabriqué des instruments dans le but d'imiter et d'harmoniser les sons qu'il entendait dans la nature. Le roseau s'est imposé tout naturellement pour la fabrication des anches car il possède des propriétés élastiques qui lui confèrent la possibilité de vibrer à de très hautes fréquences. On trouve du roseau (Arundo donax) dans de nombreuses régions du monde, principalement sur le pourtour méditerranéen, mais il semblerait que c'est surtout sur la bande côtière du Var que l'on trouve un roseau de qualité. Dans cette région, l'hiver constitue la période de repos de la plante. Mais dès le mois de mars les rhizomes bourgeonnent donnant des tiges qui vont croître jusqu'en septembre. Chaque année, le cycle de production commence par le nettoyage de la roselière où les tiges non retenues pour la fabrication des anches sont éliminées. La deuxième année, la tige se lignifie et se couvre d'un vernis naturel, dur, brillant et imperméable. C'est ce roseau dit de deux ans qui, après sélection selon son diamètre, sera employé dans la fabrication des anches.


Mais qu'est ce qu'une anche, finalement?

Dans un instrument de musique, c'est une très fine languette souple amenée à vibrer sous la pression de l'air et de produire un son. L'homme, au stade de la fabrication des instruments, a très vite inventé deux grandes familles d'anches, dont la première comprends deux types:
  • Les anches simples:
- L'anche libre: L'anche libre est une languette de roseau ou de métal fixée à l'une de ses extrémités, et dont la partie libre peut se mouvoir d'un côté ou de l'autre de son axe. C'est l'anche la plus ancienne dans l'histoire organologique des instruments de musique. Elle est soit découpée dans une plaque sur trois côtés (idioglotte, tu te rappelles?), soit fixée sur un support à l'aide d'un moyen mécanique (hétéroglotte, donc). Sous la pression de l'air, la languette se déplace pour revenir à sa place, coupant et rétablissant successivement le courant d'air. C'est ce déplacement d'air qui va générer le son. Quelque soit l'intensité de l'air ou la latitude de déplacement de la lamelle, les vibrations ne changent pas. Elles sont dites isochrones, c'est-à-dire qu'elles accomplissent toujours un nombre égal de vibrations quelque soit l'écartement pris par la lamelle sous la pression de l'air. On peut ainsi modifier l'intensité sonore sans altérer la hauteur de la note et passer du pianissimo au fortissimo, atout très important pour certains instruments comme l'accordéon. Alors qu'elle est présente très tôt en Asie, entre autre, l'usage de l'anche libre semble avoir été adopté assez tardivement dans la facture d'instruments classiques en occident. Ce type d'anche équipe les madouras, zummaras, orgues à bouche, ainsi que les bourdons et certains chalumeaux des cornemuses. Métalliques, elle équipe les harmonicas et les accordéons.

Anche libre d'orgue à bouche khène (O1)

- L'anche battante: Pièce de roseau placée contre un bec (donc toujours hétéroglotte), elle vient battre à chaque oscillation le support sur lequel elle est fixée. Elles équipe les clarinettes modernes et les saxophones et est fixée contre le bec par une ligature métallique ou un support en matière composite moulé avec le bec. Il existe aujourd'hui des anches en plastique qui, des dires de mon prof de clarinette, et de la démo qu'il m'en a faite, sont très fiables et performantes en matière de son, et qui, surtout, sont d'une longévité supérieure aux anches en roseau. Après, si tu es de ceux qui me connaissent et qui savent mon rapport avec le matériau "bois", tu comprendras ma position par rapport à cette évolution: "Tout fout le camp, mon bon monsieur!"

Anche battante hétéroglotte
clarinette (C9)

Anche battante idioglotte
madoura (C5)
















  • Les anches doubles:
Elles sont constituées de deux lamelles de roseau réunies entre elles par leur base à l'aide d'une ligature et glissées dans un tube métallique qui sera placé à l'extrémité supérieure de l'instrument. Les instruments construits sur ce principe sont très anciens. L'anche double permet d'obtenir des sons nettement plus puissants que l'anche simple. Elle est utilisée pour les hautbois classiques, les cromornes, les bassons et les cornemuses, etc, mais aussi pour les ghaïtas nord africaines, les bombardes galiciennes, bretonnes et irlandaises, les zournas et dudduks des Balkans, ainsi qu'une multitude d'instruments semblables à travers le continent asiatique. L'anche est soit pincée entre les lèvres, soit contenue dans une chambre d'air en bois (cromornes) ou en peau (cornemuses).


Anche double de ghaïta (H1)




Comment les anches sont-elles fabriquées?
C'est donc, tu l'a vus, dans le Var que le roseau est le plus réputé pour la fabrication d'anches de qualité. A deux ans, le roseau est coupé, de décembre en février, lorsque que la plante se repose et que la sève est descendue. Puis il est stocké debout jusqu'au mois de mai où s'effectuent un premier séchage et une descente lente de la sève qu'il pourrait encore contenir. Il est ensuite nettoyé de ses feuilles et branches et coupé en gardant la partie basse de la plante. Les bâtons sont alors mis à sécher sur des séchoirs et retournés régulièrement afin que le soleil les dore et fixe le vernis sur toute la surface. Ainsi le roseau prend sa couleur jaune soutenue et c'est seulement après la stabilisation du matériau que le processus de fabrication de l'anche peut commencer. Les tronçons de cannes sont triés, en fonction de leur diamètre, vers leurs futures utilisations: anches de saxophones, de clarinettes, de hautbois ou de basson.





Confection des anches simples











Confection des anches doubles







Confection d'une anche double pour cornemuse












Source pour la rédaction de l'article:
Le journal de la Confédération Musicale de France - Le Monde des Anches,
avec l'aimable autorisation de Christine Bergna.
Crédit pour les schémas et la première photo:
Le Roseau et la Musique - C.-Y. Chaudoreille, Arcam/Édisud - 1988 - Catalogue de l'exposition homonyme.


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